Les réflexes ethnocentristes sont tenaces et, au moment où les Borgia redeviennent à la mode grâce à une fiction bien peu fidèle à l’histoire, certains en sont encore à considérer le monde du tournant XVe-XVIe siècle comme uniquement européen, et centré sur les enjeux du Vieux Monde. Or, le « concert des nations » au XVIe siècle, ce n’est pas uniquement « quatre, cinq pays : l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre et la France »*, bien au contraire. L’année où Rodrigo Borgia est élu pape, 1492, est même ce que l’historien Bernard Vincent appelle « l’année du monde ». Partons donc à la découverte de ce monde, accompagné par les Borgia, entre l’élection d’Alexandre VI et la mort de Lucrèce (1519).
1492, « année du monde »C’est dans Histoire du monde au XVe siècle (Fayard, 2009) que Bernard Vincent emploie cette expression. Cette année, qui marque la fin du Moyen Âge selon la chronologie traditionnelle, est effectivement décisive, et pas uniquement pour l’Europe. En janvier 1492, les Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, prennent Grenade, capitale de l’émirat nasride et dernière place musulmane de la péninsule Ibérique. En mars, les mêmes souverains ordonnent l’expulsion des Juifs d’Espagne par le décret de l’Alhambra. Le 3 août 1492, les trois navires de Christophe Colomb quittent Palos de la Frontera pour les Indes ; le 12 octobre, ils sont au large des rives de l’île de Guanahani (San Salvador).
Si ces événements sont majeurs dans l’histoire du monde, ils ne sont pas les seuls. L’élection de Rodrigo Borgia sur le trône de saint Pierre en août 1492 a des conséquences sur la péninsule, et au-delà. L’Italie, qui n’est pas un pays mais une mosaïque de principautés et de républiques, est déstabilisée par les rivalités. La cité de Florence perd son prince, Laurent le Magnifique (le 8 avril 1492), et va rapidement basculer sous la coupe du très radical Savonarole. Les autres grandes familles d’Italie, les Sforza, les Gonzague, les Colonna, les Orsini,…sans parler des républiques comme Venise, et du royaume de Naples, sont en tension constante, malgré la paix de Lodi (1454). Cette situation mène droit aux guerres d’Italie deux ans plus tard.